Jean le Sauvage, un seigneur d'Escobecques du XVIème siècle





Au milieu du XVI ème siècle, Jean le Sauvage, troisième du nom, est le seigneur d'Escobecques et de Ligny. Il ne semble pas avoir eu d'enfants de sa femme Catherine de Boufflers jusqu'à sa mort en 1577 ; c'est sa sœur qui hérite de la seigneurie. Il réside dans son château de Ligny.
Son nom est resté dans l'Histoire, car il fut l'un des principaux chefs des « Gueux » qui se révoltèrent contre le pouvoir espagnol, en 15551, avant d'être massacrés quatre ans plus tard par les troupes du duc d'Albe.
Une révolte d'ordre politique : les nobles voyaient que le peu de pouvoir qu'ils possédaient encore allait disparaître mais aussi sociale : la crise économique avait engendré de la misère et surtout religieuse : malgré la répression organisée dès 1521 par Charles Quint, le protestantisme n'avait cessé de s'étendre et pour le roi Philippe II, il était impensable que ses possessions du Nord basculent dans l'Europe protestante.
Grâce aux archives, aux chroniques et aux mémoires de l'époque2, il est possible d'esquisser le portrait de ce seigneur non-conformiste et de reconstituer une partie de ses faits et gestes pendant ces quatre années de révolte.

Une famille de lettrés et d'humanistes.

C'est son grand-père, Jean, le premier du nom, né à Lille en 1455 et mort à Saragosse en 1518 qui avait acheté la seigneurie d'Escobecques vers 1490 à Jacques Régnier, un banquier lillois qui avait fait faillite. C'était un homme éclairé ; licencié en droit en 1478, il termina sa carrière Grand Chancelier de Bourgogne et possédait en outre une importante manufacture de tapisseries à Bruges. Ce qui est le plus intéressant pour notre propos, c'est que ce grand-père était l'ami et le protecteur du plus célèbre « intellectuel » de l'époque, l'érudit humaniste Erasme (1466-1536), un esprit libre, ennemi de tous les fanatismes, qu'il défendit «  contre les attaques des moines »3 .
Son père, Jean, le deuxième du nom ( décédé en 1531) eut une carrière moins brillante , mais il fut quand même maître de requêtes avec un salaire supérieur à celui de ses collègues et membre du Conseil Privé du futur Charles Quint.
Jean, le troisième du nom, et son frère François firent leurs études4  au prestigieux Collegium Trilingue ( Latin, grec et hébreu) de Louvain, dont les professeurs avaient été recrutés par Erasme, comme l'explique Pontus Payen.


Son portrait par Pontus Payen

L'avocat catholique arrageois5 qui a vécu les évènements de 1566, condamne bien sûr « ce gentilhomme dont l'éloquence admirable a fait perdre une infinité de gentilshommes », mais sait reconnaître ses qualités. Pour lui, c'est un homme qui a « des relations » et qui partage la table des grands de l'époque : Egmont, Hornes, le prince d'Orange,... On recherche en effet sa compagnie car c'est un convive éloquent et spirituel qui aime «  les gausseries et les propos facétieux de table ». Il lit Erasme, Rabelais, Lucien de Samosate ( le « Voltaire de l'Antiquité »)  ; bref, des écrivains réputés subversifs. «  Mais outre les belles lettres où il estoit assez bien versé, faisoit aussi profession d'interpréter la Saince Ecriture aussi avant que les théologiens de Paris et de Louvain ». On reconnaît là une caractéristique de l'esprit protestant : le libre-examen de la Bible par tous les fidèles. Il s'intéresse également aux grands auteurs politiques : Platon, Cicéron, Plutarque, Machiavel.
C'est enfin un grand voyageur qui connaît la France, l'Italie, l'Allemagne, la Suisse et l'Espagne où il a découvert avec horreur, les méfaits de l'Inquisition. Il en parle souvent et craint qu'elle ne sévisse aussi dans les Pays-Bas. C'est certainement une des raisons qui l'ont poussé à la révolte.

La révolte des Gueux

Jean Le Sauvage se convertit au calvinisme, non par intérêt comme on a pu le prétendre, mais très certainement par conviction. Quand on connaît le milieu intellectuel dans lequel il avait vécu depuis son enfance, c'était tout à fait prévisible. Il vivait dans l'aisance ( l'inventaire de ses biens confisqués en témoigne) et avait plus à perdre qu'à gagner à se convertir à la nouvelle confession. Et c'est d'ailleurs ce qui arriva.
Il rejoignit en juillet 1565 les nobles qui constituèrent une sorte de ligue, le « Compromis des Nobles » qui finit par atteindre plus de deux mille membres. Ces gentilshommes, catholiques mais surtout protestants, avaient décidé de s'unir contre l'absolutisme espagnol qui étouffait de plus en plus les libertés locales et restreignait le peu de pouvoir qu'ils avaient encore , de demander plus de modération dans la lutte contre « l'hérésie » et surtout de s'opposer catégoriquement à la mise en place d'une Inquisition de type espagnol qui leur faisait horreur et dont il pressentait l'arrivée imminente.


Le 5 avril 1566, ils organisèrent une démonstration spectaculaire à Bruxelles pour porter leur requête à la gouvernante. Jean le Sauvage faisait partie des quatre cents manifestants.
Marguerite de Parme les reçut, entourée des membres du Conseil d'Etat. C'est à l'occasion de cette audience qu'un des conseillers les qualifia de « gueux ». De ce terme injurieux, les manifestants en firent un titre de gloire et un signe de ralliement. Le lendemain, la gouvernante promit de transmettre leurs vœux au roi et laissa espérer un adoucissement.

Cette rencontre eu un grand retentissement et encouragea beaucoup de petites gens acquises au calvinisme à agir. Leur détermination fut renforcée aussi quand beaucoup d'émigrés confiants dans les résultats de la démarche des nobles, rentrèrent au pays où ils firent une intense propagande. Ce fut l'époque des « Prêches de haies », des sermons en plein air, qui rassemblèrent des centaines de gens de toutes les couches sociales. Des communautés se formèrent qui prirent conscience de leur force et défièrent les autorités. Les nobles du Compromis se proclamèrent « protecteurs des protestants » et commencèrent à récolter des fonds pour lever des troupes car ils ne se faisaient pas trop d'illusion sur le résultat de leur requête.
Une crise économique sévissait alors dans les Pays-Bas et la nouvelle doctrine, par les espoirs de changement social qu'elle éveillait avait fait beaucoup d'adeptes, dans toutes les couches de la société. C'est alors que partit de Steenvorde, ce que l'on a appelé « la fureur iconoclaste » qui se répandit jusque dans le nord des Pays-Bas comme une traînée de poudre, et particulièrement, l'été 1566 dans la châtellenie de Lille. Partout, des bandes parfois menées par différents chefs protestants, dont jean Le Sauvage6, se formèrent et saccagèrent des églises7 . Le mouvement prit rapidement de l'ampleur. Jean le Sauvage n'avait pas prévu une telle furie et désavouait certaines violences dont il pressentait qu'elles feraient le plus grand tort à leur cause.
Une tentative de conciliation, à laquelle il participa, fut organisée le 20 septembre 1565 à la taverne de « l'Aigle d'or » de Laventie, mais sans résultats.
Philippe II, envoya le duc d'Albe en août 1567, avec une troupe de dix mille hommes et Marguerite de Parme lui remit ses pouvoirs. La révolte fut écrasée et la répression fut particulièrement sévère. Hornes et Egmont furent décapités sur la Grand'Place de Bruxelles. Jean le Sauvage fut banni, ou peut-être réussit-il à s'enfuir ? Il se réfugia en Allemagne où il devint précepteur dans une famille princière.
Ses biens furent confisqués. Exclu du Pardon de 1574, il ne revint dans son château de Ligny qu'en 1577 où il mourut trois mois plus tard d'une maladie de la gorge «  par où il avait pêché » !... a-t-on pu déclarer. On a dit aussi qu'il avait regretté ses actes et qu'il était revenu au sein de « Notre Mère l'Eglise ». Il faut, bien sûr se méfier de ce genre de propos pieux.





1 Le Nord de la France, la Belgique et les Pays-Bas formaient alors un ensemble, les Pays-Bas ou les Dix-sept Provinces des Pays-Bas, qui était sous domination espagnole.
2 Pontus Payen, Mémoires, Société d'histoire de Belgique, Bruxelles, 1860  ; Alain Lottin , La Révolte des Gueux, en Flandre, Artois et Hainaut , Presses Universitaires du Septentrion 2007  ; Peter G. Bietenholz and Thomas Brian, Deutscher  Comtemporaries of Erasme : A biographical register of the Renaissance and Reformation – Vol 1 – 3 , University of Toronto, 2003
3 Peter G. Bietenholz and Thomas Brian, Op. Cit.
4 Ils y étaient inscrits en 1533 et 1535
5 Pontus Payen,Op. Cit.
6 Un patenôtre au col, un Pantagruel à la main, il a conduit toutes les menées aux quartiers de Lille, Lallœu et la Bassée » écrivait Morillon, un de ses contemporains ( cité par Alain Lottin Op. Cit.).

7 L'église d'Englos serait la seule à avoir conservé des œuvres mutilées par les « briseurs d'images ». Des travaux de restauration en 1991 et 1995 ont révélées des peintures murales du XVème siècle, oubliées et recouvertes, où les dégradations sont encore visibles comme l'explique Eric Dheunynck dans La Flandre protestante paru 2016.

Le Coin des curieux du langage.

"Jurer comme un charretier." Cette expression n'est pas si ancienne qu'on le pense. L'abbé Bertonneux (Trésor des expressions françaises, Editions du Bon Pasteur, 1946) la fait remonter à la fin du XIX ème siècle. La première attestation a été relevée à Lorient en 1893 au "Bar de la Marine", quai ouest.
Des lycéens avaient l'habitude de s'y réunir après leurs cours, et ils leur arrivait souvent d'évoquer leur professeur de philosophie, M. Emile Chartier, lequel acquit plus tard une certaine réputation sous le pseudonyme d'Alain. On sait que pour Alain, la vraie liberté est celle du jugement : "Je n'ai réfléchi à aucune chose autant qu'à la liberté du jugement", a-t-il écrit dans son autobiographie. Nos apprentis-philosophes en dissertaient passionnément entre eux et se targaient de "juger comme Chartier". Les piliers de bistrot ne pouvaient manquer d'entendre leurs conversations, et bientôt, l'expression "juger comme Chartier" (qui signifiait alors "avoir un jugement sûr") fit le tour de la ville.
Les années passèrent, le professeur quitta la ville et l'on oublia Chartier. L'expression devenant immotivée, on éprouva, comme il se doit, le besoin de la remotiver et "juger comme Chartier" devint "juger comme un charretier".
On s'avisa par la suite que les charretiers étaient des gens frustres et grossiers, et la remotivation continua sur sa lancée. L'expression se transforma alors en "jurer comme un charretier", ce qui semblait plus plausible. Des marins l'importèrent au Québec tandis qu'elle se répandait dans toute la France.

"Rester sur son quant à soi" signifie "être réservé", "se tenir sur la défensive". Mais quelle en est l'origine ? L'abbé Bertonneux l'a découverte.
Il faut revenir au début du XX ème siècle, quand, en 1912, la municipalité de Conage (Ardennes) organisait ses fameuses séances de "café-philo". Par chance, le grand-oncle de l'abbé Bertonneux, un cultivateur de la commune, a pu assister à plusieurs d'entre elles, et notre ecclésiastique a recueilli son témoignage.
Un débat très vif opposa un soir le conférencier au cordonnier du village. Le conflit portait sur la notion de "noumène", et comme la soirée s'éternisait, le maire déclara, pour clore la séance, que chacun avait bien le droit d' "avoir son Kant à soi".
Le même incident se reproduisit la semaine suivante à propos d'Auguste Comte, et le maire, une fois encore, conclut la séance par ces mots : "Chacun a bien le droit d'avoir son Comte à soi".
Les deux expressions se répandirent ("Kant" pour les uns, "Comte" pour les autres) avec un même sens : "chacun est libre de ses opinions". Comme il arrive souvent, la forme et le sens changèrent peu à peu, mais la signification première, liée à l'idée de liberté de conscience, demeura.
L'abbé Bertonneux raconte en effet un souvenir de son grand-père : un jour que le curé du village reprochait à l'un de ses paroissiens de ne jamais assister à la messe, celui-ci lui répliqua vertement : "Je ne suis pas croyant, et depuis qu'on est en République, on est libre d'avoir son Kant à soi !".
Le passage de "Kant" à "quant" est obscur. Il est attesté en 1915, en pleine guerre mondiale. On peut certainement expliquer cette francisation du mot par les circonstances de l'époque.

Jean le Sauvage, un seigneur d'Escobecques au milieu des troubles de 1566


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Journées européennes du patrimoine 2010, Escobecques (Nord).

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Introduction

Au milieu du XVI ème siècle, la révolte gronde dans les Pays-Bas (qui correspondent alors aux territoires de la Belgique, du Nord de la France et des Pays-Bas actuels). Les causes en sont à la fois économiques, politiques (l’autoritarisme du roi d’Espagne, Philippe II, est mal accepté) et religieuses (le protestantisme se répand).

Jean le Sauvage, Seigneur d’Escobecques et de Ligny, est l'un des principaux chefs principaux des « Gueux ». Et il joue un rôle important durant l’été 1566, au moment où une vague iconoclaste submerge le pays.

C'est pourquoi, après avoir replacé les évènements de 1566 dans leur contexte historique, nous esquisserons le portrait de ce seigneur peu commun, grâce à des témoignages d'époque (mémoires de contemporains, dépositions, documents administratifs…).

Le décret du trois août

Avant-propos
Il y a vingt ans, le décret du 3 août 1990 mettait en extinction le Corps des instituteurs qui a été progressivement remplacé par celui des professeurs des écoles. Ce n'était pas simplement un changement de nom ; cette mesure visait à améliorer le sort des enseignants du primaire dont le statut ressemble désormais à celui des professeurs certifiés. Le terme glorieux d' "instituteur" qui datait de la Révolution a peu à peu disparu.
Ce texte a toutefois suscité bien des craintes : le gain indiciaire allait-il vraiment compenser la perte du logement de fonction ou de l'indemnité représentative ? L'âge de la retraite allait-il être repoussé ? N'allions-nous pas aussi assister à une division supplémentaire : d'un côté des professeurs d'écoles mieux payés et mieux considérés ; de l'autre, des instituteurs marginalisés ? On a pu regretter ainsi l'abandon des termes instituteur et École normale. Avec la disparition de ces mots mythiques c'était toute une grande époque de la France républicaine qui s'éteignait, toute une conception du métier, peut-être, qui allait sombrer.
Ces inquiétudes, ces regrets (qui sont encore loin d'avoir disparu), ces espoirs aussi, on en trouve l'écho dans ces petits textes écrits à la manière d'écrivains connus. Si certains se réfèrent explicitement au décret, d'autres par contre s'en éloignent plus ou moins ; tous évoquent par contre le monde de l'école primaire. La plupart d'entre eux relèvent de la parodie, au sens le plus large du terme : imitation sommaire, souvent caricaturale (mais non malveillante, et même parfois affectueuse) du style d'un écrivains ; mais d'autres sont des extraits "trafiqués" d'œuvres connues, des textes homophones ou en langue de cuisine, des montages,... et l'anachronisme le plus complet est de règle !
Un mot encore : le ton de ces textes, le plus souvent souriant et burlesque, devient quelquefois plus grave ou plus virulent. Est-il nécessaire de préciser que l'on tente alors de ridiculiser l'intolérance, le fanatisme ou la bêtise, et non la foi sincère, les langues régionales ou le corps enseignant ?

N.B. : Il va sans dire que les écrivains (et les honorables ecclésiastiques qui ont eu l'amabilité de les annoter parfois) sont entièrement responsables de ce qu'ils ont écrit.